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Rosalie Mann, la voix de la lutte contre la pollution plastique
Rosalie Mann incarne l’engagement et la détermination. Fondatrice de No More Plastic Foundation, conférencière internationale, autrice, elle est une figure majeure de la lutte contre la pollution plastique. Son impact s’étend bien au-delà de la sensibilisation, touchant aux sphères de l’éducation, de l’innovation et de l’engagement international. Reconnue parmi les 10 femmes qui ont marqué l’année 2023 par Business O Féminin et classée par Forbes parmi les 40 femmes françaises les plus influentes de 2024, Rosalie Mann est devenue une voix incontournable dans la lutte contre la pollution plastique.

Thomas Didier : Rosalie, comment as-tu pris conscience de l’ampleur du problème de la pollution plastique ?
Rosalie Mann : Ma prise de conscience a été, malheureusement, assez tardive. J’aimerais pouvoir te dire qu’elle est née d’une réflexion profonde ou d’un lien intime avec la nature, mais ce n’est pas le cas. Elle s’est imposée de manière brutale, comme une véritable claque. Pendant longtemps, j’ai vécu dans le tourbillon de la vie, partagée entre mes obligations professionnelles et personnelles, totalement éloignée des enjeux environnementaux.
Tout a changé lorsque ces préoccupations ont fait irruption dans nos vies à cause des problèmes de santé de notre fils. Depuis sa naissance, il souffrait d’asthme chronique, mais ses difficultés respiratoires se sont aggravées avec le temps. Un soir, aux urgences, alors que j’étais désemparée, un médecin, dans une tentative de me rassurer, m’a dit : "C’est normal, c’est la pollution." Ces mots ont eu l’effet d’un électrochoc sur moi.
Comment avons-nous pu en arriver à un point où la pollution est considérée comme un état normal, quelque chose que nous devrions tolérer ou accepter comme inévitable ?
C’est ce moment-là qui a marqué un véritable tournant pour moi. Je ne pouvais plus supporter l’idée que des enfants souffrent ou vivent avec des maladies que nous aurions pu éviter, si seulement nous avions choisi d’agir plus tôt et de rester dans l’inaction ou le déni. Mais ce qui m’a le plus bouleversée, c’est lorsque j’ai découvert que mon fils, comme tous les bébés venant au monde aujourd’hui, était déjà pré-pollués dès la naissance.
L’idée que ces microplastiques et toxines envahissent nos corps dès le premier souffle est une réalité que je ne pouvais plus tolérer. En m’adressant à des experts et des scientifiques, j’ai pris pleinement conscience des effets nocifs des microplastiques sur la santé, le climat et l’économie, et l’une de leurs manifestations les plus pernicieuses : la pollution de l’air.
Pourquoi le plastique est-il si problématique selon toi ?
Le plastique issu de la pétrochimie est un matériau à la fois fantastique et toxique. S’il est devenu aussi problématique c’est à cause de nous. Pourquoi avons-nous laissé ce matériau envahir toutes les industries, se retrouver dans la bouche de nos enfants, dans nos produits les plus intimes, et dans presque tous les objets que nous utilisons au quotidien ? C’est notre utilisation excessive, incontrôlée et irréfléchie qui a transformé ce matériau aux propriétés incroyable en un véritable fléau.
Aujourd’hui, deux industries à elles seules représentent plus de 50% de la production annuelle de plastique : l’emballage et le textile. Pourtant, ce sont deux secteurs où nous pourrions clairement nous en passer, en privilégiant des alternatives durables et adaptées qui existent déjà comme le verre, les algues, le mycélium.
Alors lorsqu’on me demande comment ferions-nous sans plastique dans l’électronique ou la médecine, je suis stupéfaite : ces deux industries ne représentent qu’à eux deux environ 6% de la production totale de plastique. Ce ne sont donc pas ces secteurs qui posent le plus grand problème dans son ensemble. Et pourtant, malgré leur faible part, ces deux industries s’organisent, elles aussi, pour réduire leur dépendance au plastique, prenant progressivement conscience des enjeux à long terme.
Il faut comprendre que le plastique contient jusqu’à 16 000 substances chimiques identifiées et qu’il se dégrade tout au long de son cycle de vie en micro et nanoplastiques, qui sont eux de véritables "éponges à polluants".
Aujourd’hui, nous vivons bien plus à l’ère du plastique qu’à l’ère numérique !
Ces micro et nanoplastiques se retrouvent partout : dans la terre, dans l’air que nous respirons, dans l’eau que nous buvons, dans les océans, et même dans l’atmosphère. Et malgré les idées, les sols sont 4 à 23 fois plus contaminés par les microplastiques que les océans. La propagation des microplastiques à travers les engrais et les pesticides enrobés de plastique constitue une source directe et évitable de cette pollution.
Qu’en allons-nous enfin prendre des mesures ? Le plastique est le corollaire au changement climatique. Si nous souhaitons décarboner notre société cela passera par la déplastifier. La pollution plastique et la crise climatique sont deux faces d’une même pièce. Ignorer l’une, c’est exacerber l’autre. Le plastique n’est pas seulement une nuisance visuelle avec les macro-déchets mais une menace invisible pour le vivant dans son ensemble avec les micro et nanoplastiques.
Le plastique est un sous-produit du pétrole, une ressource fossile, et contribue directement au réchauffement climatique. L’industrie du plastique est l'une des sources de gaz à effet de serre à la croissance la plus rapide. Pire encore, tous les plastiques ou plastiques recyclés issus de la pétrochimie, lorsqu’ils sont exposés au soleil, émettent des gaz tels que le méthane, ce qui amplifie l’effet de serre.
Voilà pourquoi il reste si problématique et que considérer le recyclage comme étant une partie de la solution n’est que pure folie.
Tu dis souvent que le recyclage du plastique est une "hérésie". C’est une affirmation forte. Pourquoi ?
Les plastiques ne s’alignent pas avec les principes d’une véritable économie circulaire. Le recyclage du plastique issu du pétrole ne peut donc pas fonctionner. Le recyclage du plastique n’est qu’un écran de fumée : il donne l’illusion d’une solution durable, alors qu’en pratique, il perpétue notre dépendance à un matériau toxique et non durable.
Si l’on sait que le recyclage du plastique nuit à notre santé, aggrave la crise climatique et empire la situation de la pollution plastique, n’est-ce pas une hérésie de vouloir persister et continuer à prétendre que cela fait partie de la solution ?
C’est comme un pompier qui tenterait d’éteindre un incendie avec un bidon d’essence, convaincu d’agir pour le bien. Si ce n’est pas une hérésie, c’est en tout cas de la folie. Il est urgent d’ouvrir les yeux : en continuant collectivement à saluer cette fausse solution, nous participons tous à l’aggravation du problème.
Plus nous attendrons pour agir, plus nous retardons la mise en place de véritables solutions, aujourd’hui sous-financées, tandis que l’industrie du plastique recyclé absorbe des ressources colossales : un budget annuel d’environ 57 milliards de dollars, qui pourrait atteindre 114 milliards de dollars d’ici 2033.
Soutenir le recyclage du plastique, c’est faire un choix délibéré, dont chacun devra assumer la responsabilité. On ne pourra pas dire que l’on ne savait pas. Pourquoi est-il si difficile d’admettre que le recyclage du plastique n’est pas une solution ? Parfois, j’ai l’impression que nous agissons comme un couple pris dans une relation toxique : incapable de se détacher, vivant dans le déni, et perpétuant des habitudes destructrices. Nous nous accrochons à l’idée que le recyclage pourrait être une issue, alors que c’est une impasse. Nous n’avons plus le luxe de rester dans le déni.
Le plastique recyclé, loin d’être une alternative vertueuse, contient en moyenne 1,24 fois plus de composés organiques volatiles (COV) que le plastique vierge – qui est déjà toxique à la base. Autrement dit, il renferme environ 24 % de substances toxiques supplémentaires.
Que fait No More Plastic Foundation pour lutter contre ce fléau ?
No More Plastic Foundation est née en 2018, lors de la Journée Mondiale des Océans, de la nécessité d’agir face à l’urgence climatique et sanitaire causée par la pollution plastique. Notre mission, c’est d’agir pour prévenir la pollution plastique et microplastique, devenue un enjeu de santé publique en sensibilisant les pouvoirs publics et les consommateurs sur les effets de la surconsommation et la surproduction du plastique par des plaidoyers ou des campagnes de sensibilisation.
Nous accompagnons également les entreprises à l’urgence de déplastifier leurs industries. En près de sept ans, nous avons participé à faire connaître les effets délétères du microplastique sur la santé et nous continuons à sensibiliser sur le sujet notamment en mettant l’accent sur deux points importants : les femmes sont plus vulnérables face à la pollution plastique et le recyclage du plastique n’est pas la solution, il participe au problème.
En l’absence d’actions concrètes, le monde s’achemine vers la formation d’un cancer incurable, avec une augmentation prévue de 22% de la production annuelle de plastique entre 2024 et 2050.
Dans ta fondation, vous avez initié le programme No More Plastic Kids. Pourquoi ce focus sur les enfants ?
L’idée est venue de mon fils, du haut de ses sept ans, il a vite compris qu’il était important que les enfants aient des clés pour éduquer leurs parents sur le véritable impact du plastique. Il trouvait que les adultes faisaient des choix aveugles et dangereux, transmettant ainsi un mauvais exemple aux générations futures.
Les enfants sont les leaders de demain, et sont profondément conscients des enjeux climatiques. Ils perçoivent la souffrance de la nature et conservent une sensibilité instinctive que nous avons parfois tendance à perdre en grandissant. Ils ont besoin de comprendre et surtout d’agir à leur échelle. En leur donnant la possibilité de faire des choix dans leur quotidien, nous leur ouvrons des perspectives, leur montrons qu’il y a des solutions.
Nous leur conseillons des exemples précis pour leurs fournitures scolaires, leurs goûters, leurs anniversaires, les fêtes d’Halloween ou de Noël et les aidons à saisir pourquoi il est essentiel de changer notre dépendance au plastique. Associer systématiquement des moments de joie à l’usage du plastique est une habitude dangereuse qui perpétue un cercle vicieux qu’il est urgent de briser. Si nous voulons faire évoluer les mentalités, cela commence par eux.
Le programme No More Plastic Kids a donc été conçu et imaginé par un enfant, pour des enfants, à travers l’histoire de sept petits monstres de plastique dont l’ambition est d’envahir la planète. Nous organisons des ateliers éducatifs, des jeux interactifs et mettons à disposition des ressources pédagogiques pour leur permettre de comprendre l’ampleur et dangers de cette pollution invisible des microplastiques et nanoplastiques.
Nous donnons aux nouvelles générations les outils nécessaires pour bâtir un avenir sans plastique possible et imaginable. En les sensibilisant dès leur plus jeune âge, ils seront mieux préparés à accueillir cet avenir, sans avoir l’impression de vivre cela comme une contrainte ou une injonction pesante mais comme une évidence, comme juste étant du bon sens.
Tu as également écrit un livre intitulé “No More Plastic” paru fin 2024. Pourquoi ce projet d’écriture ?
J’ai entrepris l’écriture de ce livre en constatant que de nombreuses idées reçues et une forte désinformation persistent, y compris au sein des plus hautes institutions. Pourtant, de nombreuses études existent bien déjà sur le lien direct entre les microplastiques et des maladies chroniques comme le cancer.
Contrairement à ce qu’a pu affirmer l’IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services - en français Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) dans son dernier rapport, qui révèle un manque criant de connaissances, réduire la pollution plastique aura des impacts extrêmement positifs sur la biodiversité, l’eau, l’alimentation, la santé humaine, et même le changement climatique.
Agir contre la pollution plastique, c’est répondre concrètement à l'ensemble des enjeux du développement durable : du climat, en passant par l'économie, la paix, l'agriculture et l'éducation !
À celles et ceux qui ne mesurent pas encore l’ampleur de cet enjeu, je recommande vivement la lecture de mon livre. Fruit de plus de sept années de recherches, il explore ces questions en profondeur et s’appuie sur une documentation rigoureuse d'études scientifiques les plus récentes.
Le dernier rapport de l’ADEME est d’ailleurs venu confirmer mes travaux de recherche que j’expose dans mon livre, concernant la présence quasi systématique de particules plastiques dans les sols. La connaissance est la clé, et ce livre est une lecture essentielle pour faire des choix éclairés et ne plus subir aveuglément les conséquences de la pollution plastique.
Lorsqu’on constate un manque de compréhension profond sur ce sujet de la part de certaines institutions, ou politiques cela pose un problème majeur. Cultiver un esprit critique et s’appuyer sur des connaissances solides sont indispensables pour sortir de cette crise. Il reste encore beaucoup à faire pour déconstruire les idées reçues et faire en sorte que l’impact réel du plastique soit enfin pleinement compris et intégré dans les solutions collectives.
J’aurais aimé pouvoir lire ce livre lorsque j’étais enceinte, il y a plein de choses que j’aurai fait différemment pour préserver mon fils.
Quels sont tes espoirs pour l’avenir ?
Mon espoir pour l’avenir est entier, car les solutions existent et, surtout, nous pourrions réellement réduire notre consommation de plastique, c’est bien plus que possible. Ce n’est pas une utopie mais une réalité tangible. Des exemples à travers le monde me démontrent tous les jours que le mouvement est en marche, que les solutions réalistes et pertinentes sont en train de prendre du chemin. La vérité est toujours gagnante.
J’espère juste que nous ne perdrons pas trop de temps car je pense à tous les dégâts que cette pollution invisible engendre. Je pense à tous ces jeunes qui développeront un cancer à cause de notre déni et de notre inaction. L’industrie est d’ailleurs en train de changer à une vitesse incroyable, j’ai donné dernièrement une conférence au Paris Packaging Week devant le secteur de l’emballage -le secteur le plus polluant aujourd’hui- car ils ont plus que conscience qu’un avenir sans plastique dans leur industrie est non seulement nécessaire mais possible.
Où est-ce que l’on peut te suivre et te contacter ?
Je serai présente à l’évènement organisé par Al Gore et The Climate Reality Project en mars prochain pour célébrer les 10 ans de l’accord de Paris. Je participerai ensuite avec Alexandra Cousteau au Festival Cinema for Change pour une rencontre avec le public à l’issue d’une séance spéciale le mercredi 9 avril 2025, au Pathé Palace à Paris.
Vous pourrez également me retrouver à la table ronde "The Butterfly Effect of Plastic" lors de ChangeNOW, le jeudi 24 avril à 16h (NDLR : en tant que partenaire de l'événement, Freskr y animera un espace dédié aux fresques et ateliers de sensibilisations aux enjeux environnementaux et sociaux).
Je serai présente aussi au Festival de Cannes pour la deuxième édition des Humann Prize. Ce prix, que j’ai créé l’année dernière, est remis durant la Semaine du Cinéma Positif, sous les auspices du Festival de Cannes et met à l’honneur des figures emblématiques qui utilisent brillamment leur influence, leur notoriété et leur voix pour promouvoir des causes environnementales ou sociales, contribuant ainsi à faire bouger les lignes de notre société. Puis je serai à Nice pour l’UNOC (United Nations Ocean Conference) en juin.
Le plastique est bien plus qu’un simple déchet : il est un accélérateur du changement climatique. Une facette encore trop méconnue de cette crise est l’impact des micro et nanoplastiques présents dans l’atmosphère, issus notamment des vêtements synthétiques, des pneus et de l'omniprésence du plastique dans notre société. Ces particules influencent la formation des nuages et les dynamiques météorologiques, exacerbant ainsi les phénomènes climatiques extrêmes, comme ceux que nous avons pu observer à Valence, Mayotte ou encore à Los Angeles. Pourtant, ce sujet reste encore peu abordé dans les discussions globales.
Pour me contacter : Linkedin, Instagram ou progress@nomoreplastic.co